Chapitre 1
Quelques clés pour une analyse institutionnelle et culturelle d’une production scientifique
Pierre Delcambre
Professeur émérite – Université Lille
Geriico
Il nous[1]est paru nécessaire, avant de laisser le champ aux auteurs qui analyseront différents aspects de propositions théoriques de CLM, de procéder à une présentation plus générale de son activité et de son travail. Pour commencer, je me propose de revenir sur le travail de professeur (« Professeur des Universités »), sur les cadres et contraintes de cette activité, dans la période qui nous intéresse (1990-2015). C’est en effet une période particulière pour les Universités, la Recherche, mais aussi les disciplines des SHS – ici nous nous intéresserons aux Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) : nombre d’évolutions touchent le travail ordinaire et l’activité collective de ceux qui sont en charge, comme Professeur, de la formation à la recherche et du développement scientifique de leur discipline là où ils exercent – tout aussi bien localement que nationalement nous le verrons… et avec une pression normative nouvelle sur le travail « à l’international ». Des évolutions générales, qui dépassent le cadre des SIC, permettent de mieux comprendre certains aspects de la production scientifique et des engagements scientifiques de notre collègue.
Dans un second temps, je tenterai de « mettre en culture » le travail de CLM : ses positionnements scientifiques – théoriques et pratiques – sont issus d’un moment particulier de l’histoire des SHS, à savoir la naissance de nombre de courants de recherches « post-structuralistes » d’une génération de chercheurs « post-soixantehuitards ». Cette lecture permet de ne pas laisser notre chercheur dans la singularité de l’œuvre qu’il construisait peu à peu, mais de montrer ce qui est mis au travail par les références que ses écrits convoquent.
I. Un professeur « SIC » de la seconde génération, confronté aux transformations de l’Université et de sa recherche, acteur essentiel de l’émergence d’un nouveau programme de recherche : les communications organisationnelles françaises
Un cadrage historique était certainement souhaitable. Nécessaire certes pour ne pas verser dans l’hagiographie, l’hommage ou le « récit de la maisonnée », pour reprendre la formule à Nicole D’Almeida (D’almeida, 2004) s’attachant aux héros fondateurs. Pourtant des initiatives fortes, des moments forts marquent la « carrière » de l’universitaire dont nous voulons discuter les propositions scientifiques, mais nous ne voulions pas décontextualiser une aventure scientifique.
1. Un professeur SIC de la seconde génération
Le projet de ce démarrage de chapitre est pour partie inspiré des propositions historiennes de Robert Boure (Boure, 2002, 2006, 2007), l’affichage de ce qu’il nomme un « historicisme » (Boure, 2006) : pour les membres d’une « discipline » il est intéressant de ne pas en rester à des « histoires spontanées » et de ne pas se satisfaire de l’« histoire officielle » que les institutions soutien de la discipline finissent par établir. À sa suite, pourtant, je sais le caractère lacunaire des sources disponibles ou arrachées à l’oubli par quelques historiens de la discipline. Mon propos, modestement, cherche à mettre en lumière quelques repères, lesquels pourront être discutés : la singularité de mon propos (son ambition extrême en quelque sorte) est de chercher à combiner deux analyses historiques.
La première, dans la lignée du travail de Robert Boure, s’intéressera à la « discipline » et à l’institutionnalisation sociale et cognitive de la discipline, ici les « SIC » françaises. Je reprends à Robert Boure (Boure, 2008, p.11) le jeu des concepts d’institutionnalisation sociale et d’institutionnalisation cognitive. À la suite de Whitney, il les définit ainsi : l’institutionnalisation sociale renvoie aux modes d’organisation internes de la recherche et de l’enseignement, aux structures sociales de reproduction et de légitimation, aux modes d’allocation des ressources, aux systèmes de publication, aux normes sociales ; l’institutionnalisation cognitive renvoie à la formulation des questions de recherche, aux concepts et théories, au travail sur les méthodes, à la délimitation du champ épistémique, aux choix des objets et des terrains. Robert Bourre entend, pour les « Sciences humaines et sociales en France », étudiées sur une longue durée – depuis le 16ème siècle-, « privilégier le social sans ignorer le cognitif ».
C’est cette perspective qui explique la formule que vous avez lue en titre « professeur de la seconde génération » : ici notre auteur est analysé comme un professeur qui prend ses fonctions dans les années 1985-1995, les premiers professeurs de sciences de l’Information et de la communication étant arrivés à la création de cette discipline, entre 1975 et 1985. La base de mon analyse est que les phénomènes d’institutionnalisation en cours ont des effets sur les « membres » de la discipline, et tout particulièrement ceux qui ont à développer les recherches scientifiques. Mais il ne s’agit pas d’un ouvrage sur l’histoire des SIC : je cherche seulement à mieux faire comprendre le travail et l’activité de l’un de ces professeurs de la « seconde génération » dont nous allons étudier et discuter des écrits publiés.
La seconde réflexion historique prend en compte le fait que l’Université, comme d’autres organisations que les « communications organisationnelles » étudient, est une organisation qui vit une période de nombreux et vraisemblablement profonds changements. Le langage courant dira de l’Université que c’est une « institution » et elle en a bien des caractéristiques. Mais, comme d’autres, elle se « désinstitutionnalise », son « autonomie » se transforme sous l’effet de phénomènes comme la « contractualisation », « l’évaluation »… Globalement, deux phénomènes contribuent au changement de l’Université : d’une part la transformation des rapports entre l’État, son ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et les Universités elles-mêmes (les premiers contrats d’Université sont signés en 1990), d’autre part l’organisation de l’évaluation de la recherche (d’abord des grands Établissements Publics à caractère scientifique, culturel et professionnels – CNER en 1989, puis AERES suite à la loi programme pour la recherche de 2006, aujourd’hui l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur). Ce sont les établissements, mais aussi les Unités et Laboratoires, et enfin les formations et diplômes qui sont soumis à évaluation. Je ne me propose pas de faire une étude détaillée de ces transformations, mais de relever les incidences de ces transformations sur le travail et l’activité des professeurs.
Je suis ici fidèle à la perspective que je développe dans mes travaux en « communications organisationnelles » : j’essaie de comprendre des salariés au travail, leur activité et leurs communications : ici comment comprendre l’un d’entre eux et les organisations auxquelles il contribue[2], pour lesquelles il est en responsabilité et qu’il s’attache à définir, orienter, développer ? C’est pourquoi je me propose de l’analyser « comme un professeur ». Bizarre idée ![3]Non pas « Enseignant-chercheur », ni Directeur d’études au CNRS. Et imaginer les différences entre un « professeur », un « cadre d’entreprise », un « manager de proximité » pour mieux identifier les évolutions de l’exercice de son métier est un exercice de décentration salutaire à mes yeux.
Cette perspective me fait analyser les choses un peu différemment de Robert Boure : certes, un professeur est recruté dans une « discipline » – ici une discipline « jeune » – et contribue plus ou moins à l’institutionnalisation sociale et cognitive de cette discipline (l’institutionnalisation dépasse évidemment l’action singulière et unique d’un membre, même éminent !) ; certes il est élu dans un certain état de cette discipline, et j’insiste ici sur ce point en disant qu’il est de la « deuxième génération ». Mais je voudrais pointer le fait que son activité est à la fois « locale » et « nationale », le danger d’une analyse seulement institutionnaliste étant de ne s’attacher qu’à la contribution au « national »[4]. Ordinairement, classiquement, le travail suppose ces deux « terrains »
1.1 Une activité locale
Il s’agit de veiller aux éléments du développement. J’en relèverai quatre, qui me semblent « traditionnels » en essayant de montrer les évolutions de la charge de professeur.
(1) Je commencerai par un élément qui a été stratégique dans la mise en place de la discipline SIC et dans le rôle local des Professeurs, surtout quand la discipline est jeune et que les Professeurs ne sont pas nombreux : l’existence d’une formation doctorale. Il est assez loin le temps où les seules rencontres avec le Professeur qui encadre votre thèse faisait office de formation. Une carte historique de l’installation des formations doctorales « SIC » en France permettrait de relever que la discipline s’est progressivement installée dans des « hauts lieux », en sus de Paris. Pour une discipline « jeune » plusieurs questions se posaient : comment former en SIC alors que l’on a été soi-même formé dans d’autres disciplines[5]? Et comment aboutir à une discipline, même « plurielle », si les seules références des jeunes chercheurs sont celles de « son » professeur ? Or cette question se pose aussi pour la seconde génération, faite de gens formés dans d’autres disciplines dans le début des années 1970 et qui ont à un moment viré de bord et voulu s’inscrire dans les champs de recherches de la jeune discipline[6]. Ici on notera, au risque de la répétition, les dates pour notre collègue Rennais (une formation en philosophie nourrissant la dimension épistémologique de son travail scientifique, une thèse sous la direction d’Erik Neveu à Rennes 1 en Sciences politiques en 1990, et ce travail sur les « communicateurs » l’amène à obtenir un poste de MCF en 71ème section à la même date à Rennes 2 ; une HDR en 71ème s’ensuit, mais sans qualification dans la foulée…). Certes, il était encore possible à cette date, surtout à Paris, de jouer sur sa propre notoriété pour attirer auprès de son université de futurs thésards ; mais, progressivement, et localement, la question a été de construire des cursus qui permettent d’aller jusqu’à la thèse.
(2) Un autre élément « stratégique », donnant lieu à nombre de luttes ou de négociations pas toujours faciles : la place spécifique des professeurs dans le recrutement de leurs plus jeunes collègues (MCF, mais aussi ATER). Ici les évolutions des commissions de spécialistes peuvent nous intéresser… si l’on n’oublie pas que, dans les démarrages de cette discipline, localement, faute de professeurs déjà installés en SIC-71ème section, les commissions trouvaient des professeurs, tuteurs ou alliés, locaux et s’appuyaient sur d’autres, extérieurs, pour garantir la « spécialité ». Les professeurs, une fois assez nombreux, une relative autonomie était possible, mais cela pouvait engendrer aussi plus de conflits internes. Derrière l’existence et la composition de ces commissions, on relève le rôle des professeurs dans la « conquête » de postes locaux nouveaux, évitant la marginalisation par « assèchement » ou « étranglement » de la discipline, et leur permettant le développement. La définition de l’intitulé du poste est elle aussi stratégique (l’intitulé est-il générique ou peut-on « fermer » en affichant une sous-spécialité ?) ; de même les écrits définissant le profil souhaité sont apparus peu à peu dans ces années-là, procéduralisant plus cette part de l’activité[7].
(3) Or, ici encore, il faut noter les effets du statut particulier des SIC, détachées des Lettres et proches des Sciences Humaines et Sociales par l’étude d’objets associés à de nombreux mondes sociaux, et professionnels. Les SIC, localement, se sont appuyées sur des formations professionnelles nombreuses. Dans le démarrage, les années 1975-80, l’enjeu des SIC était d’obtenir des MST (Maîtrise de Sciences et Techniques, niveau Maitrise). On comprend que les IUP Infocom aux filières Bac+1 à Bac +4, dans les années 1990-2000 ont été une opportunité forte… avant le passage au système LMD[8]qui transforma la filièrisation aboutissant au M2 et aux formations doctorales… Mais il faut noter que les filières technologiques courtes des « IUT » étaient présentes dès les années 1967 ; toutes ces formations professionnelles n’étaient pas « en information-communication », mais le développement des « ressources » en poste pour les jeunes chercheurs en SIC passaient par une veille politique sur les créations d’établissements, de filières, de postes, et sur le meilleur contrôle possible des recrutements en SIC[9]. Là encore, on imagine les « négociations locales » plus ou moins faciles, la « veille stratégique » exigeant d’être de plus en plus proche de la direction d’une Université et des autres Universités de la Région. Le nombre d’enseignants-chercheurs augmentait donc…
(4) Ici, il me semble que nous sommes en face d’une inflexion du travail des professeurs. Une inflexion dans la maintenance de réseaux de contacts pour « suivre » les évolutions des formations… et bien sûr, à partir du moment où l’évaluation et la contractualisation vont localement définir les périmètres, les axes de développement, les politiques de postes, dans chaque Université… où l’AERES (seconde partie des années 2000) va aussi prendre en charge l’évaluation des formations et des diplômes… un gros travail de recueil de données et d’écriture de rendu compte et de « projet » va augmenter la charge ou transformer le travail de « politique des postes » des professeurs. « Veiller au grain » se complique par la multiplication des acteurs de la contractualisation et de l’évaluation[10], ou encore, dans des contextes locaux de faiblesse des ressources, on imagine que la concurrence interne latente typique des Universités exige un « suivi des affaires », des tensions et des négociations…
(6) Autre aspect conséquent du travail (charge individuelle) et de l’activité (dynamique organisée et collective) des Professeurs : la définition même du projet scientifique du « futur professeur » : un objet aussi obligé que le « projet de service » d’un postulant à un poste de responsable de service d’une administration d’État ou Territoriale. Ce projet (comme dans le secteur culturel où l’on est nommé sur projet et où l’on a un an pour établir un texte pour discussion conventionnelle ?) reste aujourd’hui appuyé sur le moment de l’HDR et sur la candidature au poste de professeur (un projet supposé personnel). Mais il est de plus en plus lié à une politique… (de laboratoire ?) validée par l’établissement. De fait, il s’agit non pas seulement de développer ses propres travaux, mais de fédérer autour de soi une équipe, proposer un « axe » et un programme de travail[11]. Il s’agit aussi d’avoir une « masse critique » qui vous protège des fusions ou regroupements jugés stratégiques par les autorités universitaires locales ou nationales[12]. Les équipes développent un projet, un programme ; avec un programme d’invitation, des « séminaires ». Une attention spécifique est portée aux « jeunes chercheurs », car ce n’est pas seulement l’équipe qui est évaluée par l’AERES, mais aussi les membres de l’équipe ou du laboratoire : il s’agit d’être publiant[13]. Certains professeurs orienteront l’activité de leur équipe vers la publication à plusieurs auteurs, écriture partagée dans la fabrique et la reconnaissance, d’autres favoriseront leur présence dans les journées qu’ils organiseront. C’est plutôt cette voie qui sera celle du CERSIC à Rennes où CLM, développant une politique de colloques et journées d’études ouvre à de jeunes chercheurs la possibilité d’intervenir et publier, produit nombre d’« appel à communications » construisant des thématiques attendues, et propose des orientations par nombre d’introductions et de conclusions orales.
1.2 Une activité nationale
Une autre facette, un second « pied » de la dynamique de cette activité d’un responsable scientifique de recherches et formations à la recherche dans l’Université, c’est le « national ». Soyons simplement attentifs à ne pas oublier qu’investir le national se fait de deux manières : la participation à des institutions nationales, mais aussi la mise en place de réseaux d’alliances et de circulations. Le premier point est plus abordé et documenté : la « discipline » est organisée sur un territoire national et donne lieu à gestion de « carrières » (qualification et promotions parfois) : c’est le rôle du CNU où siègent des élus et des nommés des deux corps A – « professeurs » – et B « Maîtres de Conférences ». Dans la perspective historique qui est la mienne, pour les « Sciences de l’Information et de la Communication », ce qui est appelé le CNU et la 71ème section du CNU à la date de cette publication est marqué par une dimension agonistique. On peut en effet concevoir qu’une telle instance dont les décisions jouent sur l’entrée en poste et la carrière de gens est sujette à des conflits. La dimension agonistique, qui pourrait prendre de multiples formes, a été longtemps marquée par le clivage droite gauche, qui s’est appuyé sur des groupes (comme pour les listes issues de syndicats) et sur des fortes figures aspirant à une représentation nationale. Tous les membres ne participent pas à ces luttes, mais elles sont le paysage même d’élections régulières et de changements réguliers. En ce qui concerne notre étude, et plus particulièrement celle de l’émergence de « communications organisationnelles » comme domaine accepté et légitime de la discipline, il n’est pas sans conséquences que ces luttent s’appuient sur des personnes qui les incarnent et, au-delà de la dimension politique – sensible dans de nombreuses luttes publiques pour la conquête de l’Etat dans ces années de « passage à gauche » (1981-1987) puis de « cohabitation » (1987-2002), puis de passage à droite (2002-2012) – défendent une conception et un « périmètre de la discipline ». Or, les luttes droite-gauche avaient aussi une forme dans la jeune discipline. Charles-Pierre Guillebeau (plusieurs fois Président de la section « Sciences de l’Information et de la Communication » du Conseil National des Université, avant 1984 puis en 1988), fondateur de ce qui deviendra le CELSA au sein de la Sorbonne[14], haut lieu de la formation universitaire à la communication d’entreprise (les 4 domaines enseignés étaient Relations, Sociales, Relations Publiques, Marketing-Publicité et Journalisme), fondateur de la revue Humanisme et Entreprise[15], était en lutte avec deux autres grandes figures pour la Présidence du CNU, Jean Meyriat[16]puis Bernard Miège. Dès 1985 Meyriat et le CNU définirent les domaines de spécialité précisant « le périmètre » de la jeune discipline et donc les conditions d’entrée (et de transfert : il s’agissait aussi de dire à quelle condition des travaux réalisés dans des domaines réputés d’une autre section pouvaient être reconnus comme « de la discipline ») – sur ce point voir encore Boure 2006, §23-24-.
On peut penser que cette opposition « droite/gauche », assez frontale, et encore sensible en 1992, au moment où Bernard Miège préside le CNU, a rendu plus complexe la légitimité du travail en « communications d’entreprises »[17], possiblement suspectées d’être « fonctionnalistes » ou de réaliser des travaux amélioratifs commandités par les entreprises, d’être somme toute trop peu critiques pour être scientifiques[18].
Ce qui précède montre bien le jeu particulier, qui semble caractéristique des SIC entre les instances nationales de « représentation » pour l’évaluation et la promotion des « membres » et celles de direction politique élue d’une organisation représentant la communauté et de ses domaines lors des congrès. Faisant suite au Comité des SIC, la SFSIC va jouer un rôle clef dans cette période d’institutionnalisation de la jeune discipline, quand bien même son congrès n’aurait lieu que tous les deux ans. Certes ainsi l’association construit un espace de publication, un espace de visibilité et de reconnaissance où les jeunes Maîtres de Conférences parfois formés dans une autre discipline vont apprendre l’état de la discipline, son actualité, vont trouver les autres membres proches de leurs orientations et de leurs objets et pourront aussi y gagner de la notoriété, mais il faut noter aussi que la SFSIC construit un espace symbolique national non parisien[19] ainsi qu’un espace plus ou moins vif de débats : la direction de cette association, la composition de son Conseil d’Administration, ses orientations, la construction des thématiques de congrès sont donc, pour nombre de membres de la 71ème section « stratégiques », à nouveau dans cette période de stabilisation de la discipline[20] où, après une HDR, s’installeront les « professeurs de seconde génération ».
Ce côté stratégique, cette dimension publique collective du « national » ne doit pas faire oublier l’activité ordinaire des professeurs au « national », soutenue par l’interconnaissance construite par l’Association, mais aussi alimentée par leur travail continu ; constituer les jurys de thèses, lesquelles se multiplient avec le temps, dans un cadre où des spécialisations se font jour, inviter pour des conférences ou des colloques locaux, et se déplacer à leur tour, amène la constitution de « réseaux » de soutien ou d’interconnaissance, permettant de « piocher » dans un stock de professeurs de la discipline et de la spécialité[21], pour éviter de constituer des jurys « multidisciplinaires » de spécialistes, une pratique qui se retourne parfois contre les thésards eux-mêmes. Ces échanges permettent aux professeurs de faire vivre localement leur domaine de spécialité, voire de mettre en place une politique locale de publication.
Activité locale et nationale se combinent donc dans deux dimensions – alimentées certes différemment et vécues plus ou moins intensément – et permettent des dynamiques professionnelles qui me semblent se transformer sur la période considérée. Pourtant l’analyse ne suffit pas pour comprendre l’émergence des « communications organisationnelles françaises ». Il faut s’arrêter un moment sur le groupe Org&Co et comprendre les enjeux scientifiques attachés à son existence.
2. Construire l’émergence des communications organisationnelles françaises : Org&Co (1994-2015…)
C’est la « thèse » que je défendrai ici, voulant faire comprendre l’activité de l’un des professeurs SIC de la seconde génération, qui a travaillé le développement des recherches dans le domaine des « communications organisationnelles » en cherchant à rassembler des chercheurs travaillant dans ce domaine non encore identifié : il est apparu nécessaire à un certain nombre d’enseignants chercheurs de la SFSIC de mettre en place, vivre et contribuer à des échanges dans un groupe « Org&Co »[22]. Et cela est devenu le « troisième pied » de professeurs SIC de la seconde génération pour ce domaine en émergence.
2.1 Un groupe et sa dynamique
L’enjeu initial renvoyait aux rapports à la SFSIC (et au rôle de la SFSIC vis-à-vis du CNU), enjeux que Christian Le Moënne portait certainement plus que d’autres, juste après avoir passé son HDR, soutenue à Grenoble et l’ayant amené à débattre avec B. Miège. L’initiative collective « Org&Co » était de construire un domaine et de le faire reconnaître comme « groupe de recherche SFSIC »[23], en espérant tourner un trait sur les années de méfiance de cette association vis-à-vis de la « communication d’entreprise » (voir plus haut). Reconnu par la SFSIC, le groupe profita des congrès pour obtenir une demi-journée de rencontres et contributions spécifiques, et avança sa propre organisation. Il est à mon sens notable que le caractère stratégique d’une présence dans les instances dirigeantes de la SFSIC fut dès l’époque une préoccupation de membres d’Org&Co[24].
L’initiative de créer un groupe peut aussi se comprendre comme une manière de réunir des forces scientifiques dispersées, à la fois parce que certains jeunes Maîtres de Conférences se trouvaient en IUT, lieux sans « labo » et souvent éloignés des Universités-mères, et parce que le nombre de jeunes docteurs visant à se définir comme chercheurs en « communication des organisations » était encore faible. Le premier « colloque » de Rennes réunit 13 contributeurs, celui de Lille en 2000, 19 !
Très vite, le groupe s’organisa comme groupe scientifique avec un coordinateur « tournant »[25], la mise en place d’une lettre, d’un site… le tout autoproduit. Les journées se multiplièrent, débordant le cadre des journées de colloque avec publication[26]. Le groupe pouvait faire état de ses travaux et publications et les premières tentatives de synthèse réalisées par les coordinateurs virent vite le jour[27]. Le groupe était ouvert et invitait, sur des thématiques émergentes, des chercheurs d’autres disciplines. Les colloques organisés entre deux congrès de la SFSIC installaient une géographie différente, celle d’un « réseau » de ce qui devenait la (ou les) communication(s) organisationnelle(s).
2.2 Org&Co et les communications organisationnelles
L’identité d’un groupe est une chose, ses rapports avec la discipline et son association nationale une autre (il n’était pas question d’être une sous-discipline, solution qui a eu cours dans d’autres aires géographiques). Mais que construisaient en fait les membres qui contribuaient dans ce cadre ? Org&Co avec son appellation provoquante, peu académique, rompant avec « Relations Publiques » et « Communications d’Entreprise », n’était-il qu’un lobby oeuvrant à l’intérieur d’une organisation, ou un nouvel espace d’auto-promotion concurrentiel, dans un entre soi plus protégé ? Oser la question permet d’ouvrir d’autres réponses[28]. Pour ma part (Delcambre, 2008 et 2011), j’ai évité de faire une difficile synthèse[29]en m’intéressant de plus près à ceux qui formaient dans ces années-là (1995-2010) les nouveaux jeunes chercheurs en communications organisationnelles, d’où mon analyse en termes de « seconde génération ». J’ai tenté de montrer que leur formation de base, leurs références théoriques du temps de leur formation, leurs terrains, leurs objets, leurs méthodes pouvaient donner une autre analyse que la « variété » ou, mot plus négatif, la « dispersion », le manque d’unité ou de cohérence scientifique collective. En utilisant le terme discutable de « paradigme », j’ai cherché à identifier ce qui différentiait la dizaine de responsables scientifiques que l’on pouvait entendre et lire dans cette petite communauté, en décrivant un état momentané. Je reviendrai rapidement sur deux points. En premier lieu, cette analyse montre bien une variété de responsables scientifiques « cohabitant » et il m’a semblé qu’Org&Co, pour être un lieu d’échanges productifs, ne pouvait se satisfaire de la coprésence autopromotionnelle de chacun, mais devait identifier les éléments d’entente et de discussion entre tel ou tel « paradigme », et savoir laisser d’autres organiser la dispute quand cela pouvait arriver.
J’avais qualifié le travail de Christian Le Moënne (de Bernard Floris aussi) de « paradigme des logiques sociales », un des 5 ou 6 présents en 2007 :
« Un paradigme des logiques sociales des phénomènes communicationnels et informationnels, basé sur des travaux de sociologie (Boltanski et Thèvenot 1991, Castoriadis 1975, Linhart, 2008) et sur l’analyse des évolutions des formes d’organisation des entreprises dans un environnement qui exige de nouvelles réponses idéologiques, organisationnelles et communicationnelles pour la mise au travail. Les auteurs, dans ce cadre, pensent l’information et la communication comme deux nouvelles formes du management et de la gestion des entreprises, aspects d’un nouvel état du capitalisme. Ils analysent les transformations des normes et des formes du capitalisme informationnel (Le Moënne, 2004), ou, au-delà de l’activité des services qui lui sont explicitement dédiés, le rôle d’une nouvelle fonction symbolique (la communication), contrôlée par les directions (Floris, 1996 ; Olivesi, 2002). De tels travaux portent leur attention sur les mutations en cours en se basant sur des enquêtes nécessairement larges qui cherchent à comprendre les situations locales. Certains travaux croisent les logiques sociales et la philosophie de l’action instituée et de l’espace public » (D’almeida, 2007)[30].
Par cette qualification, je voulais prendre en compte l’ouverture politique et économique de leur analyse des organisations. Et encore, leurs avancées sur le fait que ces organisations –entreprises, administrations d’Etat ou Territoriales, Services sous régime associatif… – ont maille à partir – dans une perspective info-communicationnelle – avec l’Espace Public. Dans une perspective de « logiques sociales », une organisation est aussi en lien avec ses financeurs et leurs intérêts, dans la grande complexité actuelle des formes de financements, elle se transforme aussi dans un monde de normes et de régulations, nationales parfois, internationales pour d’autres aspects.
Mais, précisément, la position de Christian Le Moënne visait à combiner ses propres travaux, préciser sa place dans le domaine des communications organisationnelles avec un autre travail : contribuer à l’orientation d’un collectif. Cette contribution a pu prendre deux formes : le bilan et le programme. Notre collègue a été ambivalent à l’égard du bilan (Le Moënne, 2009 ; Le Moënne et Gallot, 2015). Disons qu’il marquait sa réticence à l’égard d’une histoire d’Org&Co fait par ses propres membres, et à l’égard d’un bilan trop rapide[31], conscient en plus du travail considérable que réclame une entreprise telle que « documenter » les travaux en « communications organisationnelles ». Il a plus volontiers fait des propositions en termes « programmatiques », osé des « perspectives ».
2.3 Org&Co et les communications organisationnelles : un programme de champ
L’ouverture internationale a amené des confrontations entre programmes et approches théoriques (belges avec A. Gryspeerdt - Gryspeerdt, 2000 – et bien sûr canadiennes), grâce au début d’une réflexion appuyée sur une interconnaissance (Carayol, 1998)[32]. C’est en précisant sa position que Christian Le Moënne a été amené à revenir sur l’aventure « Org&Co », en particulier dès lors que des enseignants chercheurs d’Org&Co ont cherché à repositionner l’approche communicationnelle sous la « marque » « Approches Communicationnelle des Organisations », cousinant avec les CCO (Constitutive Communication Organisation) canadiennes (Bouillon, et al, 2007). La réaction de Christian Le Moënne, telle que je l’analyse, donne à la fois un programme rennais qu’il publie (Entre Normes et Formes, 2008-2011 sur le site de Préfics) et fait connaître (par exemple « Le programme « entre normes et formes » et son heuristique pour analyser les processus organisationnels », Lille, GERICO, Janvier 2009), et une relance épistémologique à destination du collectif, appuyée sur I. Lakatos. Il emprunte à cet auteur, non cité jusque-là, l’analyse d’un « noyau dur », d’une « heuristique positive » et « négative », et des concepts de « programme d’objet » et de « programme de champ) », en s’intéressant à une dynamique scientifique qui chez Lakatos ne repose pas sur la « falsification » comme chez Popper, mais sur la conception d’une « tradition souche » qui doit subir des révisions et les adaptations nécessaires aux reconfigurations historiques[33]. Je ne reprendrai ici que les définitions des « programmes d’objet » et de « programme de champ », le second étant pour Christian Le Moënne ce qui convient à l’analyse du programme français d’Org&Co « communications organisationnelles », un programme qu’il estime de « faible portée ».
Un programme d’objet est « un programme qui, à l’intérieur de grands champs de recherche déjà existants, se propose de construire des objets et des problématiques de recherche et d’en défendre la validité épistémologique, théorique et méthodologique et la légitimité disciplinaire au regard des paradigmes dominants dans le champ ».
En revanche
« un programme de champ se donne pour objectif d’ouvrir un nouveau champ de recherche. Il s’agit donc d’élargir au maximum la perspective et de ne pas la fermer sur une problématique ou une définition particulière. C’était la caractéristique centrale de la notion de « communication(s) organisationnelle(s) », suffisamment floue et imprécise pour que chacun puisse finalement y mettre ce qu’il souhaitait, sans avoir à faire des efforts de justification pour pouvoir s’y situer. La condition minimale d’un programme de champ est qu’il est nécessaire de définir à chaque fois les concepts et notions utilisés, c’est-à-dire, pour ce qui nous concerne, ce que l’on entend par communication, information, organisation, communication organisationnelle, problématique communicationnelle, approche communicationnelle ou informationnelle, etc. (…) » (Le Moënne, 2010, p.292).
Une telle définition, épistémologique certes, pose non seulement des problèmes d’ « heuristique positive » (ici CLM note une volonté unitaire) ou d’ « heuristique négative » (ici CLM note les ruptures souhaitées et néanmoins l’acceptation de l’inscription collective en SIC), mais encore, dans la perspective d’analyse du travail et de l’activité des universitaires contribuant au champ qui est la mienne, et en tenant compte que ce programme de champ est porté principalement par un groupe d’études et de recherches, Org&Co[34], des questions d’ orientation collective (qu’est-ce qui fait évoluer un programme de champ) voire de « pilotage » (est-ce que les contributeurs d’un programme de champ se coordonnent, sont pilotés). Des questions de « communications organisationnelles » somme toute !
II. Un enseignant-chercheur dans les Sciences humaines et sociales de son temps
Dans la partie précédente, j’ai voulu proposer un cadre de compréhension du travail de CLM, en le plaçant comme un acteur d’un phénomène auquel il contribue, mais qui le dépasse : l’institutionnalisation sociale d’un champ de recherche (communications organisationnelles) et d’une discipline (les Sciences de l’Information et de la Communication), en France.
Dans la mesure où nous voulons, dans les chapitres qui suivent, expliciter et discuter sa construction théorique, ou certains éléments de celle-ci, il nous a semblé, Sidonie Gallot et moi, qu’il fallait oser faire plus. En effet, le fait de nous centrer les uns après les autres sur le travail de CLM risquait d’en faire un « menhir ». D’autant plus que, comme beaucoup d’autres professeurs, il vise à affirmer et développer sa « singularité » et que c’est bien celle-ci que nous travaillons.
Pourtant, une clé de compréhension pour situer cette singularité est bien de contextualiser aussi ses approches épistémologiques et théoriques[35]. Cette tentative à laquelle je vais me livrer me semble autant nécessaire que critiquable.
Nécessaire, car l’ambition théorique de CLM est forte. Ses lecteurs et ses auditeurs ont tous été frappés par l’ampleur de ses références bibliographiques, faites d’auteurs inhabituels dans notre champ, trop nombreux pour qu’on les lise à notre tour, donnant parfois l’impression qu’il s’agit là d’une épistémologie inaccessible ou surplombante. Il y a donc un effort certain, dans les chapitres suivants, pour prendre ce travail par un bout (nos thèmes), expliquer et discuter. Les contributeurs – je suis le seul « senior » – sont de la génération suivante, deux d’entre eux seulement formés par CLM ; chacun développe son propre travail : nous respectons là un principe de diversité et la spécificité des univers de chacun. Or, je voudrai insister sur ce point : si tous les contributeurs participent eux-aussi à l’institution sociale et cognitive du champ et de la discipline, les rencontres, les échanges ne construisent pas ipso facto une culture partagée. Il n’est pas sûr du tout qu’une culture « du champ » existe déjà. Or c’est bien une telle culture qui donnerait des clefs pour comprendre.
Critiquable : qui suis-je pour faire comme si je pouvais décrire un contexte et faire partager une culture ? Dire d’où je parle – je le ferai par des incises et par des notes – permettra de voir les limites de mon projet. Dire comment j’ai travaillé pour faire cette tentative permettra de pointer les faiblesses liées à mes méthodes de travail. Car je veux tenter d’inscrire CLM dans les SHS de son temps.
Rapidement pour la méthode, je me suis appuyé sur l’ouvrage de François Dosse, L’empire du sens. L’humanisation des sciences humaines (La Découverte 1995), un « livre enquête » qui tente de décrire et comprendre la « recherche de pointe » en sciences humaines, dans les années 80-95, celle menée par une génération de jeunes chercheurs « marquée par Mai 68 », dit encore la quatrième de couverte de cet ouvrage. Ce livre m’avait éclairé en son temps sur ma propre aventure intellectuelle, le reprendre est tout aussi éclairant maintenant. Cela permet notamment de situer les auteurs d’une partie notable des bibliographies de CLM. De fait, autre élément de méthode, j’ai aussi repris toutes les bibliographies des textes de notre corpus. Il ne s’agit pas là des lectures de notre auteur, ni de sa bibliothèque mais de ce qui a été « mis au travail » pour chaque occasion de publication. Je sais le risque de positivisme qui touche les analyses de bibliographies, tant les stratégies de citation sont variées et variables[36]. J’ai néanmoins fait ce travail pour, d’abord, repérer les auteurs régulièrement cités – encore une fois, dans notre corpus-, aller voir qui sont ces gens que je n’ai généralement pas lus, et tenter ainsi de rendre compte de l’univers de culture scientifique mis au travail par CLM.
Je travaillerai donc ici en deux temps. D’abord suivre l’analyse que fait François Dosse de cette génération montante. Puis chercher à « mettre en culture » quelques aspects du travail théorique et pratique de CLM[37].
1. Pour Dosse, une génération post structuraliste, marquée par quatre pôles et des modifications substancielles de conceptions philosophiques.
A l’issue de son enquête et des séminaires qu’il a organisés de 1992 à 1994, Dosse estime que les jeunes chercheurs « de pointe » qu’il a rencontrés ont des « ressemblances de famille » et des convergences (Dosse, 1995, p.8). Il situe quatre pôles.
Le premier : Michel Serres et le centre de sociologie de l’innovation (Dosse, 1995, p.21-40). Nombreux sont les chercheurs qui se rencontrent, autour de l’École des mines[38] dans la « galaxie des disciples de Michel Serres » : tout un courant d’approche critique de la science qui lit Habermas, discute des controverses entre Karl Popper, Imre Lakatos[39], Paul Feyerabend. Callon dans son approche de la sociologie des sciences emprunte le concept de « traduction » à Michel Serres – d’où la « sociologie de la traduction » – et pense l’agir communicationnel avec Habermas. Ce sont les premières collaborations entre Callon et Latour – qui a découvert l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari, part à San Diego, en ethométhodologue, dans le laboratoire du neuro-endocrinologue Roger Guillemin-… Dosse montre le lien entre ce courant et Isabelle Stengers, chimiste au départ, avant de développer des travaux de philosophe et de travailler à Paris à la préparation de la Cité des sciences de la Villette [40]. C’est dans le même réseau, dit Dosse, que l’on rencontre Pierre Lévy, « explorateur de l’univers informatique et de ses effets sur la société (…) à la pointe de la réflexion sur ce qu’il saisit comme une mutation anthropologique majeure », et suit le séminaire de Castoriadis à l’EHESS, où, rencontrant Dupuy, il travaille en historien le « connexionnisme » et la cybernétique.
Le second est le pôle cognitiviste (Dosse, 1995, p.41-52). Les évolutions des sciences cognitives sont un phénomène de grande ampleur aujourd’hui, et je pense pour ma part que nous devons faire un travail important pour distinguer différents « cognitivismes »[41]. L’approche cognitiviste ne m’étant pas familière, c’est un aspect du travail de CLM que j’ai du mal à m’approprier. Mais, dans un instant je tenterai de pointer quelques caractéristiques de son approche conceptuelle, et, dans les chapitres suivants, le lecteur pourra noter l’usage que fait CLM du terme de « schèmes cognitifs ». Les pages de Dosse m’ont permis de suivre Jean-Pierre Dupuy et le CREA. Dupuy rencontre le biologiste Francisco Varela (Autonomie et connaissance en 1980 ; Connaître, les sciences cognitives, tendances et perspectives de 1989 sont dans les bibliographies de CLM[42]). C’est au même CREA que le directeur adjoint, Daniel Andler, s’ouvre à l’épistémologie (Colloque de Cerisy en 1981 sur Karl Popper). Dans les intérêts du CREA, aussi, « la philosophie de l’esprit ».
Le troisième (Dosse, 1995, p.53-75) est le « pôle pragmatique ». J’irai plus vite, dans la mesure où ce courant était plus « proche » du champ des communications organisationnelles, mais Dosse est précieux pour montrer les connexions entre des chercheurs qui développeront des recherches « cousines », mais distinctes. Dosse indique d’abord le rôle de Jean-Marc Ferry qui a introduit Habermas en France. Il indique (« la sortie du Bourdieusisme ») les relations entre des jeunes chercheurs : entre Boltanski – Les cadres, la formation d’un groupe social date de 1982-et Latour, puis entre Callon et Latour – 1981 c’est l’époque de la première publication en anglais de « Le grand Leviathan s’apprivoise-t-il ? »-[43], Desrosières, Thévenot (Callon et Thévenot découvrent la compétence réflexive des non spécialistes, du sens commun ; Thévenot – qui travaille à l’INSEE comme Robert Boyer et Michel Aglietta – y travaille en économiste l’investissement de formes[44]), ou Favereau. On voit ici naître l’économie des conventions et son « manifeste » paru dans la Revue économique en mars 1989. Dosse revient encore sur le parcours de Louis Quéré et à « l’attention portée à l’agir social et aux formes d’énonciation de celui-ci », sur son héritage théorique – Habermas, Lefort, Touraine mais aussi Goffman-, à la manière dont celui-ci se tournera vers l’ethnométhodologie. En 1982-83, Quéré lance un séminaire au Centre d’Etudes des mouvements sociaux de l’EHESS, rejoint par Pharo, Conein, Cottereau. On traduit Garfinkel et Sachs…[45]
Enfin, (Dosse, 1995, p.76-84), le pôle de « reglobalisation par le politique » : le politique comme moyen de repenser différemment le social ; ce pôle est influencé par une approche philosophique du politique, avec Lefort et Castoriadis et leurs réflexions sur le totalitarisme… La revue Le Débat… mais aussi Dany-Robert Dufour… et nombre d’historiens, notamment à l’Institut d’Histoire du Temps Présent (1978).
On m’excusera pour cette approche un peu longue, mais Dosse a le mérite d’avoir suivi un grand nombre de spécialistes des Sciences humaines et sociales, de montrer et les relations construites dans ces « pôles », et les ouvertures très différentes à nombre de théorisations de ces trente dernières années. Il synthétise les changements « post-structuralisme » comme (1) un ressourcement pragmatique de la théorie de l’action ; (2) une manière de repenser au niveau de l’individu ce qui fonde l’être ensemble[46] ; (3) une volonté de réhabiliter l’intentionnalité et les justifications, de réévaluer la compétence des acteurs et les déterminations réciproques ; (4) enfin quelque chose comme une fin de la « fermeture française » avec des échanges, mobilités, lectures, traductions très nombreux avec le monde anglophone et les Etats-Unis.
Il me semble que le travail de Dosse permet de contextualiser le projet et le parcours scientifique de CLM, de comprendre ce qui pouvait être pris comme une diversité bibliographique surplombante, de pointer ce qui lui fait tenir conjointement plusieurs perspectives dans les orientations récurrentes de sa construction théorique (certaines, bien sûr, pas toutes !).
2. Un enseignant-chercheur pris dans les SHS de son temps pour construire son univers théorique et pratique
Dans le travail qui suit, je vais privilégier les orientations lisibles dès les premiers textes de notre corpus (94, 95, 97, 98) et tenterai de montrer la bibliographie de référence qu’il construit… et poursuit plus tard.
2.1 Philosophie, Politiste et politique
Professeur de la « seconde génération », CLM n’a donc pas été formé en SIC, peut-être pas non plus en « SHS », car à l’époque de sa formation comment catégorisait-on ?[47]Une formation en Philosophie (option Epistémologie), mais aussi un cursus en Sciences Économiques et Sociales – et une thèse d’État (1990) en Sciences politiques : « L’ère des communicateurs ? Enjeux sociaux et politiques du phénomène de la « communication d’entreprise » en France (1968 -1988) », sous la direction d’Erik Neveu [48].
« Sphère » (publique, privée, professionnelle), « Espace » (géographique et symbolique) …
On relève qu’il est un habitué du vocabulaire de l’époque où nombreux, en SIC et dans d’autres disciplines, travaillaient sur le principe de « publicité » et sur les questions politiques et communicationnelles relatives à « l’espace public ». Il participe notamment (Le Moënne, 1995) au livre réalisé sous la direction grenobloise d’Isabelle Paillart, L’espace public et l’emprise de la communication, publié chez Ellug. Pour CLM il s’agit de penser la « sphère professionnelle ». En politiste, il propose de penser « trois espaces de l’entreprise »[49] l’entreprise comme mise au travail, comme administration ou organisation et encore comme production d’imaginaire et de représentations susceptibles d’être partagées, d’où sa formule « l’entrée en politique des entreprises », phénomène très repérable en France où le patronat avait préféré longtemps le « bien faire et laisser dire » à la « communication-relations publiques ».
Du côté de l’Entreprise…
Politique et politiste, on peut le repérer par nombre de ses références bibliographiques[50]. Il s’intéresse aux communicateurs et aux entreprises – et c’est bien ce mot-là qui est d’abord employé et non « organisations » comme dans la sociologie des organisations, il s’appuie dès lors sur Hélène Vérin, historienne : Entreprises, entrepreneurs, histoire d’une idée, paru en 1980-. Il n’est pas étonnant que CLM soit doté d’une longue bibliographie à leur sujet. Je relèverai quelques références dans les textes de 94 à 98 pour souligner les orientations qui conduisent à ce titre de 2013 « Technologies de l’information et de la communication et dislocation des entreprises. Vers une socio-économie des normes et des formes ».
J’ai plaisir à relever cette référence (en 1995 et en 2012) au « Petit travailleur infatigable » (Murard, L. et Sylberman, P. (1976).» Le petit travailleur infatigable : villes-usines, habitat et intimités au XIXème siècle », Recherches n°٢٥). C’est un ouvrage très lu à l’époque par les courants critiques et politiques qui pensaient non seulement l’entreprise – ici l’usine – mais les organisations sociales produites par le patronat du 19ème. Cette orientation conduit aux « formes sociales ». Eugen (pas Max) Weber est lui aussi régulièrement cité – en 1995, 2006, 2010, 2015 : Weber, E., 1983, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, Fayard. Un intérêt constant pour la transformation des espaces sociaux donc (Chesnay, M. (1990). Communication et espaces, La Documentation française, cité en 1994, ou Guilhuy, Ch. (2014). La France périphérique – Comment on sacrifie les classes populaires. Flammarion, cité en 2014. En 2008 il cite, dans un texte consacré à « L‘entreprise imaginaire », Pierre Veltz : Le nouveau monde industriel. Le débat-Gallimard de 2000 et Mondialisation, villes et territoires, PUF de 2005. Dans le même texte on trouve, bien sûr Castoriadis[51].
Une autre approche, plus classique dans la sociologie de l’époque, suite à la sociologie industrielle de Desmarez – il cite La sociologie industrielle aux États-Unis, paru en 1986-, est l’analyse critique du Taylorisme et du Fordisme (le « compromis fordiste »). Il a lu Taylor, notamment la « Direction des ateliers », dans Vatin, Fr., 1990, Organisation du travail et économie des entreprises, Les éditions d’organisation (cité en 1995). Il s’appuie sur L’atelier et le robot de Coriat (paru en 1988) dans l’analyse de l’épuisement du modèle organisationnel et du pacte sociétal fordiste. D’autres auront lu L’établi de Robert Linhart (1978, Minuit) et liront, comme moi qui participais au réseau Langage et Travail, Yves Clot Le travail sans l’homme (La découverte 1995) – ses chapitres 2 « Attendus et inattendus du projet » et 3 « Vivre en flux tendu », ou suivront Danièle Linhart, jusque, encore, son ouvrage de 2015 La comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la surhumanisation managériale.
Transformations… socio-économie et socio-politique
Mais, plus socio-économiste et socio-politique, la réflexion de CLM s’attache à la compréhension du capitalisme et de ses transformations historiques. Chandler est une référence qui court tout au long de ses textes, depuis le début (il cite aussi bien La main visible des managers, paru en français chez Economica en 1989, que Stratégie et structures de l’entreprise, paru aux Editions d’Organisation à la même date et Organisation et performance des entreprises, Les Editions d’Organisation 1992-1993). Il lira et citera Le capitalisme au XXIème siècle de Thomas Piketty. Il utilisera un temps la formule de Jean Lojkine La révolution informationnelle (livre paru en 1992), citera Jeremy Rifkin (Rifkin, J. (2012). La troisième révolution industrielle. LLL) dès la parution de ce livre, ou encore dans le dernier texte de notre corpus, Brynjolfsson, E. et M. Cafee, A. (2015). Le deuxième âge de la machine. Travail et prospérité à l’heure de la révolution technologique, chez Odile Jacob. Enfin « critique » il s’intéressera à François Flahaut[52]. – Cela commence en 2012 avec Flahaut, Fr. (2003). Pourquoi il faut limiter l’expansion du capitalisme. Descartes et Cie. Et Flahaut, Fr. (ss date). Où est passé le bien commun. Fayard-Mille et une nuits. Puis, ouvrage de 2003 republié sous un titre nouveau : Flahaut, Fr. (2006). Le paradoxe de Robinson, Mille et une nuits. Cet ouvrage est encore cité dans le dernier texte de notre corpus, en 2016.
Formes et normes…
Ce sont donc les « formes organisationnelles » et leurs évolutions qu’il s’attache à comprendre, suite à son expérience de terrain. D’où certes le rapport Bloch-Laîné de 1963 Pour une réforme de l’entreprise, mais plutôt Jacot (directeur d’un ouvrage collectif sur Formes anciennes, formes nouvelles d’organisation paru en 1994)… ainsi que des auteurs qui lui permettent de traiter de la question des normes, de la « rationalité procédurale », auteurs qu’il citera régulièrement comme De Munck (De Munck et Verhoeven Les mutations du rapport à la norme paru en 1997 et cité aussitôt, et L’institution sociale de l’esprit, paru en 1999), ou Demeleunaere (Les normes sociales entre accords et désaccords paru en 2003). Le projet de séminaire Rennais 2008-2013 « Entre normes et formes » datant de 2008 sera publié dès la création de la Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication porté par G. Gramaccia et CLM lui-même, dans le numéro 2 de 2013 (en ligne). On y retrouvera la bibliographie concernant les formes[53]… et les normes (le plus souvent les « normes techniques » mais aussi Dupuy, J-P. et Livet, P. (1997) Les limites de la rationalité, T1 Rationalité, éthique et cognition. La Découverte.
2.2 Dans l’action collective et les dispositifs cognitifs collectifs…
On peut dire que CLM participe au « courant critique », en tout cas au moins dans une acception post-soixanthuitarde. Son analyse de la colonisation de la sphère publique par la sphère privée professionnelle (1995) en est un exemple. Mais son inscription est réfléchie et elle-même critique : voir son texte « Ethiques et contextes organisationnels » paru dans la revue MEI en 2008, sa participation à l’ouvrage dirigé par Thomas Heller, Romain Huët, et Bénédicte Vidaillet, Communication et organisation. Perspectives critiques, paru en 2013 aux Presses du Septentrion, suite à un colloque tenu à Lille en 2011 où son intervention s’intitulait « La crise des critiques idéologico politiques et les recherches en SIC » – Communication plénière, Colloque « Crise de la critique » Lille, Juillet 2011-. Il ne s’inscrit pas, lui, dans la sociologie critique poursuivie par l’Ecole de Franfort (avec notamment Axel Honneth La lutte pour la reconnaissance paru en 2000, ou La société du mépris paru en 2006) : il n’est pas sûr que cette approche l’intéresse. Il est plutôt du côté de « la société du contrôle » et de l’analyse Deleuzienne qu’il revisitera, et cite en 2003 Michael Hardt et sa contribution « La société mondiale de contrôle » parue en 1998 dans Eric Alliez, dir, Gilles Deleuze une vie philosophique, paru chez Synthelabo.
En revanche il faut retenir, je crois, deux points notables dans sa pensée et sa pratique théorique.
D’une part son analyse n’est pas « dénonciatoire ». Ainsi son analyse met en avant une « solide crise managériale », mais il s’agit pour lui de montrer les logiques en tension ou contradictoires qui font crise ; le management est pris dans ces tensions (par exemple entre un système de qualité totale développant des normes procédurales et l’obligation pour mettre en place la qualité d’une « logique de sens » issue des acteurs sociaux en activité, dans leurs collectifs professionnels qui doivent réagir aux événements et aux signaux), et se trouve confronté à une impossibilité de penser le nouveau, car il – le management – est pris encore dans les formes anciennes de résolution de problème dans l’activité managée. Le management se trouve dans une difficulté à penser d’une manière « convenante », en situation, pris notamment dans des modèles normatifs d’action, largement diffusés et soutenus par les conseils en management.
D’autre part, être critique, c’est lutter dans l’épistémé contre le dualisme. Je devrai dire contre tous les dualismes ! Le premier pourrait être l’opposition de l’action et de la pensée. La première partie de ce chapitre l’a montré, CLM est bien un homme d’action. Et dans nombre de ses textes, on peut voir comment il souhaite organiser « par la pensée philosophique » – le travail de réflexion conceptuelle-. Orienter, cela se fait par un travail conceptuel[54]. Le travail conceptuel de ses interventions orales a pu être mal vécu par certains : c’est un rude jouteur, et parfois « ça vole haut » ; le travail conceptuel de ses textes est plus facile à reprendre, travailler pour que chacun trouve le sens des accords et désaccords. Dans ses derniers textes il est amené à donner des clefs pour faire comprendre (et « soutenir », action plus politique) la conception qu’il a des « communications organisationnelles » et de son désaccord avec la tentative de Bouillon, Bourdin et Loneux de définir le champ comme « Approches communicationnelles des organisations : interroger l’organisation par la communication » (voir leur introduction au numéro 74 de Sciences de la société qu’ils ont coordonné en 2008) [55]. Mais un texte encore plus illustratif de la mise au travail des concepts est le texte publié en 1997[56]. Ici c’est le concept d’induction. En prenant le même terrain que dans ses premiers travaux (chez Citroën, la qualité et l’organisation-projet) il retravaille conceptuellement « Induction » en la pensant sous le signe de la « convenance », liant la recherche d’efficience aux formes d’activité processuelles – les « démarches » qualité – refusant « l’induction amplifiante » fondée sur une logique de la vérité et donc sur la recherche de modèles normatifs et généraux. (§56). Liant « Induction » et « émergence » il refuse de penser l’induction « de façon mécaniste, comme un processus dans lequel un contexte déterminé agirait comme la cause dont l’organisation serait l’effet » (§٦٩). En fait nous retrouvons ici une des singularités de CLM : son travail épistémique s’intéresse aux organisations comme systèmes artéfactuels et processus, en appui sur des courants constructivistes, mais dans le même temps comme « dispositifs cognitifs collectifs » (dans le même texte §45). Je vais revenir dans un instant sur cette combinaison singulière. Pour l’instant je voulais, dans ma tentative d’éclairage, noter que son engagement philosophique-politique lui fait dénoncer sous la critique pour « dualisme » plusieurs positionnements scientifiques.
Certes il y a le dualisme corps vs esprit (c’est pourquoi il fait souvent référence à Francisco Varela : Varela F. (dir). (1993). L’inscription corporelle de l’esprit. Seuil. Mais aussi l’Homme – et sa pensée – vs les machines (d’où Simondon, d’où la préférence pour le « couplage « cortex-silex » et Leroi-Gourhan) ou encore « la pensée savante » vs « la pensée professionnelle », opposition qui séparerait l’épreuve de l’action de l’exercice de la pensée. En cela aussi c’est un « politique » et l’on retrouve ce que mettait en lumière Dosse sur une génération ayant à faire avec des « effets retards » de mai 68. Nous étions plusieurs à chercher à être « critiques » mais à penser avec les professionnels… que nous formions[57].
2.3 Systèmes… constructiviste radical, et engagé dans une version particulière du « cognitivisme ».
Je n’explorerai pas ces différents dualismes et la critique qu’en fait dans différents textes CLM. Je préfère ici m’attacher à une autre singularité qui peut être lue comme une bizarrerie intellectuelle. CLM est capable, dans le même texte de faire référence à Deleuze, Varela, Stiegler, Simondon, Le Moigne et Jullien ; dans le texte de 1997 (« Communication et induction dans les démarches de recomposition organisationnelle : d’une logique de la vérité à une logique de la convenance ») ou de 2013 (« Technologies de l’information et de la communication et dislocation des entreprises. Vers une socio-économie des normes et des formes »). Des noms qui ne m’étaient pas inconnus mais qui ne faisaient pas partie de ma culture, des auteurs dont les orientations me semblaient « tous azimuts », des textes lus par différents courants des SHS, les chercheurs de la génération montante décrite par Dosse. Le travail que nous faisons Sidonie Gallot et moi pour lire et relire les textes de CLM me permet lentement de m’y retrouver et de vous en proposer une lecture.
Systèmes artificiels, organisation-artéfact ; constructivisme et modélisations
Il est plus facile pour moi de montrer comment CLM s’approche des « constructivismes » et comment il marque sa différence en se déclarant « constructiviste radical »[58].
CLM s’intéresse, comme une bonne partie des SHS de son époque aux « systèmes ». En SIC, on pourrait estimer qu’il y avait deux branches « systémiques » : celle qui s’intéressait à la cybernétique – la théorie mathématique de l’Information revisitée – et celle qui s’intéressait à Watzlawick et l’Ecole de Palo Alto. CLM est du premier côté. Il cite très vite Simon (Simon, H.A. (1991). Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel, paru en français chez Dunod), et régulièrement jusqu’en 2003 ; il travaille Le Moigne[59]dont il citera de nombreux textes dans ce que je pense être une première période de son travail, se concluant presque avec la rencontre à Béziers avec Alex Mucchielli qui organise alors une réflexion sur le constructivisme[60].
Le démarrage consiste donc à penser les organisations (ici le terme d’organisation a un sens, mais on le voit supplanté par le terme de système : la question de la clôture et de la circulation des informations/signaux ou sens s’y joue). Systèmes autorégulés, mais plus encore chez lui « artéfacts » (systèmes artificiels). Un tout dernier texte, publié en 2018, notre corpus étant clôt, – « Penser l’artificialisation du monde ? Retour sur la question des constructivismes et de la transformation numérique », Communication et organisation, 53 | 2018, 107-132 – reprend ce qu’il travaillait en 2003. Cela montre que la question ouverte avant les Réseaux sociaux[61] (développés après l’éclatement de la bulle numérique de 2008) sur le numérique et « l’artificiel » reste une thématique de réflexion chez CLM. Les « systèmes artificiels » lui permettaient à l’époque (années 1990-2005) de construire les concepts de base de sa construction théorique (institution vs organisation). Voir les chapitres suivants. Pour ma part, ici, visant à mettre en culture le travail de CLM, je pense utile de souligner les quatre points suivants qui « signent » son approche.
(1) Il lit aussi des biologistes parce que les systèmes sont aussi pensés dans cet univers scientifique, citera Von Bertalanffy, L. (1973) Théorie générale des systèmes. Bordas en 2014, mais aussi Dawkins, R. (1991). Le gène égoïste. Colin. (en 1997), Durham, W.H. (1991). Coevolution: Gènes, culture and human diversity. Standford University Press en 1997 encore ; et Goujon, Ph. (1999). « De la logique à l’auto-organisation – L’apprentissage de la complexité », dans (Collectif), Auto-organisation et émergence dans les sciences de la vie. Ousia. (en 2006).
(2) Cette question des systèmes n’est pas chez lui sans lien avec la transformation des machines (des robots, on passe aux ERP et donc à l’informatisation des systèmes : il suit la revue Sciences de la société de Toulouse, donc le numéro consacré aux « progiciels de gestion », dirigé par Denis Segrestin (Sciences de la société n°61, 2004 « Le mythe de l’organisation intégrée. Les progiciels de gestion ».). L’Intelligence artificielle l’intéresse (Winograd, T. et Flores F. (1986). L’intelligence artificielle en question. PUF). Dosse mettrait cela en lien avec le travail de Dupuy au CREA, et citerait Levy. CLM est à Rennes et échange-débat avec Jean Max Noyer qui développe la revue Solaris. Jean Max Noyer est un auteur peu discuté par CLM mais souvent cité à partir de 2013[62]. Il partage avec lui la lecture de Deleuze qui sera cité tout au long du travail de CLM (le plus souvent : Deleuze, G. (1990). Pourparlers. Minuit, et Deleuze, G. (1967). Logique du sens. Minuit.[63]).
Il me semble aussi nécessaire ici de citer Gérard Chazal [64] dont trois ouvrages sont référencés au moment de la construction du programme « Entre normes et formes » (2006 à 2008) : d’abord l’ouvrage de 2000, Les réseaux du sens. Champ Vallon. Puis celui de 2002, Interfaces. Enquête sur les mondes intermédiaires. Champ Vallon. Enfin celui de 1997 : Formes, figures, réalité, toujours chez Champ Vallon : en effet, c’est explicitement sur ce dernier ouvrage de Chazal que CLM s’appuie « Si on considère que toutes les productions de sens ne sont pas le résultat du langage, si on admet qu’il y a des modes de signification extra-langagiers, il faut considérer que la catégorie qui permet de signifier, de décrire ces modalités sociales de production sociale de sens est donc la catégorie de forme ».
(3) Il faut noter le décalage progressif de CLM avec le constructivisme de Le Moigne. Notamment dès lors qu’il s’agit de penser des modèles d’action : CLM se refusait à une conception ingénieur normative de l’action (procéduralisée) pour les organisations. Et cela dès 1997 avec sa défense d’une logique de la convenance contre une logique de la vérité.
(4) Le point précédent montre que dès 1998, CLM préfère un « constructivisme radical » et s’appuie très régulièrement sur le sinologue François Jullien qu’il suivra. Parmi les ouvrages cités, on trouve régulièrement Jullien, F. (1996). Traité de l’efficacité. Grasset. (cité en 1997, 2003, 2006). Il lira plus tard Jullien, Fr. (1992). La propension des choses. Pour une histoire de l’efficacité en Chine. Seuil (cité à partir de 2012) et Jullien, Fr. (1998). Un sage est sans idée ou L’autre de la philosophie. Seuil. (cité en 2006 : il reprendra la formule pour envisager et promouvoir une autre pratique de consultance). Cette question de l’efficacité est en fait centrale dans sa manière non dualiste de penser l’action organisée et l’intelligence collective[65]en situation.
2.4 Anthropologies
Une philosophie-écologie de l’esprit ; la gestion collective des situations cognitives
Ce dernier point pour situer des orientations de la pensée théorique de CLM est plus difficile pour moi car il est à la fois très « philosophique » et entre dans des phénomènes de cognition dont je n’étais pas proche[66]. Cette orientation est en lien avec ce qu’on pourrait appeler une « philosophie de l’esprit », sauf que CLM est tout sauf Hégélien !
Au risque d’aller trop vite dans ma lecture et mon interprétation, je note que CLM travaille avec les deux termes d’imaginaire et de symbolique, mais pas d’une manière freudienne. Le terme d’imaginaire revient constamment (d’où l’institution imaginaire de la société et la référence constante à Castoriadis ; d’où sa contribution au n°34 de Communication et Organisation de 2008 « L’organisation imaginaire ? », d’où dix ans avant – 1995-, dans son analyse des « trois espaces de l’entreprise », la mise en lumière des « formes d’imaginaires propres » aux formes actuelles d’entreprise). Le terme « symbolique » me semble lié au couple « matériel et symbolique » ; CLM s’en méfie sinon : il reproche à nombre d’analystes de « réduire » leur compréhension de la communication au « symbolique », à la « gestion symbolique ».
Le terme même d’esprit ne lui conviendrait guère, je pense, car il incite à une lecture « dualiste » (les idées seraient « dans la tête ») et mentaliste ; vraisemblablement c’est pourquoi il préfère « cognitif » et reprend la formule « écologie cognitive »[67]. Dès 1997 il estime que « la conceptualisation des phénomènes de propagation de formes, représentations, normes, comportements (…) les travaux sur la « contagion des idées » et les « attracteurs culturels » – il cite Sperber 1996 – suggèrent une perspective paradigmatique qui recouvre certaines problématiques de l’anthropologie culturelle, des sciences cognitives et des sciences de la communication. Il s’appuie sur la philosophe Judith Schlanger - Schlanger, J. (1978). Une théorie du savoir paru chez Vrin. – en évoquant la gestion collective des « situations cognitives ». On retrouve ici la lecture de Dupuy sur laquelle j’ai déjà insisté, ainsi que celle de Varela, mais aussi de Dennett, philosophe américain proche des sciences cognitives de l’époque, cité en 97 (La stratégie de l’interprète, ouvrage de 1990 ; son ouvrage plus connu, « La conscience expliquée » paraît chez Odile Jacob en 1993).
Une de ses approches est dès lors plus anthropologique, et l’on ne s’étonnera pas de trouver tôt dans ses écrits André Leroi-Gourhan (Le geste et la parole paru en 1964, dont le premier tome est « Technique et langage », le second « La mémoire et les rythmes »). La thématique de la « cristallisation » de la mémoire dans les outils me semble venir de là. Une autre approche, tout aussi anthropologique, est l’analyse de la coordination dans les collectifs humains au travail et dans l’activité. Cette coordination relève du partage et d’imaginaires (non pas d’« idéologie » tout à fait, mais de représentations associées aux outils et à leurs usages) et de « schèmes cognitifs » (la formule de CLM est « la structuration des schèmes cognitifs par les normes anthropologiques »).
Dès lors CLM combine un travail sur la rationalité, les normes et les « logiques » …
Pour conclure cette seconde partie, je dirai qu’en faisant cette relecture, j’ai été frappé de la place considérable des auteurs et ouvrages de la génération de jeunes chercheurs que Dosse avait repéré, d’où toutes les références à des ouvrages parus après 80, d’où aussi des auteurs « suivis » dès lors que CLM les avait repérés et appréciés. Le format d’écriture essentiel de CLM est l’intervention suivi d’un article : c’est le format classique « court » qui ne permet guère de faire « passeur », ni de prendre le temps de l’explication ; l’homme d’action et de pensée s’est peut-être condamné à ce format. Le travail de mise en culture est peut-être celui que, professeur, il a développé à Rennes avec ses étudiants et thésards. Ici, j’ai tenté à ma manière cette « mise en culture » en situant les textes et auteurs qu’il « met en travail » et cherchant à comprendre « d’où il vient ». Où il va, ce sont les futurs textes, les effets de discussion et les débats qui l’éclaireront.
Annexe 2
La manière qu’a Christian Le Moënne de présenter son activité scientifique dans un document « CV et état des publications » en 2016 (extrait repris ici avec sa permission).
Contribution Scientifique et universitaire aux Sciences de l’information-communication (CLM)
« Mon principal apport scientifique et épistémologique aux Sciences de l’information et de la communication consiste, à mon sens, à avoir contribué activement à jeter les bases théoriques de programmes de recherches sur les communications organisationnelles, qui mettent à distance les perspectives purement managériales et descriptives qui dominaient jusqu’aux années 1990. J’ai ainsi contribué au développement d’un champ scientifique et de recherches au sein des SIC, qui puisse ouvrir des perspectives épistémologiques et critiques renouvelées. Ce programme de recherches sur les « communications organisationnelles » (et non « des organisations » ou « des entreprises ») met en avant l’importance des phénomènes d’information et de communication dans le développement des formes organisationnelles qui contribuent à structurer pratiquement les formes sociales, au même titre que les formes techniques et sémiotiques. De ce point de vue, il y a une profonde unité des sciences de l’information et de la communication dont l’objet consiste au fond à analyser les processus d’émergence et d’institutionnalisation de ces formes sociales, à travers l’analyse des pratiques, des dispositifs et des discours.
J’ai développé à la fois des recherches de terrain de longue durée – notamment pour les vingt-cinq dernières années dans les institutions de services aux personnes – et des programmes de recherches à dimension plus épistémologique et pratique, visant notamment à comprendre le basculement des formes organisationnelles, de logiques spatiales vers des logiques processuelles, d’une anthropologie de l’espace vers une anthropologie du temps et de la vitesse. Dans le même temps, j’ai été amené à reprendre la question technique en approfondissant et radicalisant l’hypothèse de Leroi-Gourhan selon laquelle l’espèce humaine, comme d’autres espèces d’ailleurs, se caractérise par sa capacité à distribuer de la mémoire dans ses environnements, et notamment à cristalliser de l’information dans les formes sociales : organisationnelles, objectales, sémiotiques. Cette hypothèse est au fondement d’un programme visant à élaborer une approche institutionnaliste et évolutionniste des processus de communication organisationnelle. Elle a donné lieu à des articles et communications dans différents colloques et séminaires et à un colloque à Rennes en 2009. Elle est au fondement du programme « Entre formes et normes… » que je dirige au sein de l’équipe de recherches PREFIcs.
J’ai privilégié la publication d’articles scientifiques et les communications dans des colloques scientifiques car ils me semblent toujours la meilleure formule pour alimenter les débats scientifiques publics et l’élaboration commune des problématiques théoriques.»
Références bibliographiques de la première partie
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[1]Ce chapitre résulte du projet commun des deux porteurs de ce projet d’ouvrage –ce sera alors un « nous » ; mais il est écrit sous la responsabilité de son auteur – alors ce sera un « je ».
[2]Dès lors je n’étudie pas un « rôle », mais le travail dans une « place » à tenir, une activité située dans le temps (1994-2016) et l’espace (en France, à Rennes).
[3]Et en plus plutôt « idéal-typique » car en 1994 CLM n’est pas encore « professeur » en titre. Il soutient en 1990 une thèse en Sciences politiques « L’ère des communicateurs ? Enjeux sociaux et politiques du phénomène de la « communication d’entreprise » en France (1968-1988), date où il devient MCF à Rennes, en 71ème section (SIC) ; il prépare le dossier de l’IUP – Institut Universitaire Professionnalisé – qu’il fonde et dirige en 1992, soutient son HDR en 71ème section à Grenoble3 en (janvier ou mars) 1994, année même où, au Congrès de Toulouse de la SFSIC (en juin, suite à un « appel à » (voir CLM 2009 annexe 1) il contribue puissamment à l’initiative de création d’un groupe de travail « Org&Co ». Il n’est qualifié qu’en 1997 et n’est recruté comme Professeur à Rennes qu’en 1998. Pourtant nous retenons pour étudier son travail et son activité scientifique les années postérieures à l’HDR : il est dès lors bien engagé dans une responsabilité de direction scientifique.
[4]Ici encore, en France, il y a danger à considérer le « national » comme le travail auprès des instances nationales, donc en capitale ; ils sont certes importants (CNU, AERES/HCERES, siège de l’association nationale – ici la SFSIC – et de ses réunions). Mais les échanges courants (jurys de thèse par exemple, organisations de colloque et de congrès…) s’appuient aussi sur un état « national » de la discipline, avec ses lieux. Pour la SIC rares ont été les congrès à Paris, et les lieux des rencontres d’Org&Co montrent bien la dispersion et les déplacements liés aux échanges « nationaux » sur le territoire national.
[5]Je renvoie ici encore aux travaux de Robert Boure (Boure, 2007) qui liste les « DEA » des débuts de la discipline (Bordeaux 3, Grenoble 3, Nice, Paris IV et EHESS). Il analyse aussi qui sont les Professeurs qui ont accepté en 1975 de se déclarer comme relevant de la « 52ème section du CCU » (1972-1979) organisation précédant le CNU -1987 et la 71ème section.
[6]R.Boure (Boure, 2007) note encore que les premières filières SIC concerneront la Presse, le Cinéma et l’Audio-visuel, les Relations Publiques et la Documentation.
[7]Il est donc intéressant, pour chaque Université, de voir comment des « spécialités » SIC ont pu s’établir, notamment par la nomination de candidats « locaux ». Les glissements possibles à chaque nouveau poste de professeur disponible peuvent transformer le paysage local (on peut comparer Rennes2 en 1990 et Rennes2 en 2015 par exemple).
[8]Les « mastaires » sont conférés aux titulaires de DESS et de DEA comme grade en 1999. La réforme LMD s’étale sur plusieurs années, accrochée à ce qu’on appelle le « processus de Bologne » à partir du début des années 2000. Les IUP mis en place dans les années 1990 et soutenus sous le ministère Allègre 1997-2000 (de Bac+ 2 à la maîtrise Bac+4) mettront un temps à se réorganiser dans le système LMD.
[9]Pour les IUT dont nous évoquons l’importance en termes d’ouverture de postes dans la spécialité des SIC, on trouve les dénominations « Information Communication », « Carrières sociales » et « Techniques de commercialisation » dès cette date, puis « Génie des télécommunications et réseaux » en 1992, « Services et réseaux de communication » en 1993. Par académie et donc sur l’ensemble du territoire régional, il faudrait repérer ici celle de Rennes : depuis 1970 Lannion a un département Information Communication (dépendant de Rennes 1). La création de postes en SIC dans ces établissements de premier cycle aux objectifs d’interdisciplinarité est un des éléments à analyser pour comprendre les difficultés propres aux carrières de jeunes enseignants chercheurs éloignés de l’Université de référence en termes de recherches SIC.
[10]On peut retrouver un écho de cette charge nouvelle dans un passage de l’éditorial signé de Christian Le Moënne et Sylvie Parrini-Alemanno pour le numéro de Communication&Organisation consacré au « Management de l’évaluation et communication », Communication&Organisation, 2010, n°38, p.5-13 (Texte liminaire du numéro intitulé « Éditorial »).
[11]A Rennes, on s’intéressera au progressif établissement d’un programme propre, lié au Préfic(s), donnant lieu à document et séminaire (2008-2011) intitulé « Entre Normes et Formes », puis à un colloque à Rennes début septembre 1011.
[12]Ce point encore est complexe à observer : il faut parfois se regrouper pour se stabiliser comme « Équipe d’accueil (EA), comme le Centre d’Études et de recherches en SIC (Rennes, Christian Le Moënne) dans le cadre du PREFics (Pôle de recherches Francophonies Interculturel, Communication, Sociolinguistique). Si devenir une « équipe d’accueil » est accessible, essayer de devenir une équipe CNRS (UMR) est difficile car les exigences sont fortes. Il est possible de s’associer localement à une équipe CNRS en place (A Toulouse, l’Ecorse d’Anne Mayère avec le CERTOP (Centre d’étude et de recherche Travail Organisation Pouvoir) en sociologie des formes de régulation et leurs conséquences. Sur le cas du Gripic (au Celsa Paris IV, voir Véronique Richard : Richard, 2014).
[13]L’AERES a mis en ligne les critères d’identification des chercheurs et enseignants « publiant » en mars 2008. Pour ce qui est des SHS, la valeur de la publication est alors définie à l’aune de trois catégories : internationales, nationales et locales ou professionnelles. Les articles publiés dans des revues locales ou professionnelles sont comptabilisés, tantôt au titre de la recherche, tantôt au titre de la diffusion de la culture scientifique ou de la valorisation selon les disciplines.
[14]Voir sur Charles-Pierre Guillebeau à la fois R.Boure (ainsi la note 14 dans Boure, 2007a, p.269 et la thèse d’A. Zozima (Zozima, 2017, p.75-84).
[15]L’HDR de Françoise Bernard (Bernard, 1998), en quatre volumes, est une étude des évolutions de cette revue.
[16]Membre de la première heure et Président du Comité des SIC fondateur de la discipline en 1972, comité transformé en SFSIC dont il fut le premier Président (1977-1984) ; il ne devint Président du CNU (1984-1987) que grâce au vote du collège des Maîtres de Conférences, majoritairement syndiqués à gauche -dans les catégories de l’époque encore en cours – et au premier basculement « à gauche » du collège des Professeurs (Boure, 2006, note 17).
[17]Sans avoir à documenter, j’en veux pour preuve le passage d’une intervention publique de Christian Le Moënne, à Rennes en 2009, publiée en 2010, contre les « caciques » de la 71ème section (Le Moënne, 2010, p.291, note 13 « Le rejet ou la négation persistants, par une partie significative des caciques de la discipline, de l’existence d’un champ dynamique et théoriquement très structuré de recherches sur les communications organisationnelles pourrait à vrai dire amener les chercheurs à rechercher des recompositions disciplinaires proches de ce qu’ont construit nos collègues d’Amérique du Nord. Si la délimitation bureaucratique administrative des disciplines devient un frein pour le développement des recherches, elle finit inévitablement par être remise en cause ». Le Moënne se représente (cas unique en présidence de la SFSIC) et est élu président de la SFSIC de 2012 à 2014. Ce même passage est apaisé dans la version du même texte retravaillé avec Sidonie Gallot (Le Moënne et Gallot, 2015).
[18]Cet aspect que je relève est encore complexe à travailler, faute de documents. Boure (2006, §29) note que B.Miège et P.Moeglin explicitent leur position, lors du congrès de 1990, à Aix : « Défendre la recherche critique ». Il estime dans le même texte que la préparation du 7ème congrès, celui d’Aix, marque un tournant dans l’affirmation des Sic par les questions ouvertes et débattues (Boure, 2006, note 18). C’est ce travail qui donne lieu à une des premières publications collectives présentant les « facettes » et domaines des SIC (CinémAction n°63, 1992 « Les théories de la communication »). On notera que, dans cette publication, trois textes auront une dimension « communications organisationnelles », celui de Christian Le Moënne, alors MCF 71ème (Le Moënne 1992), celui d’Arlette Bouzon, alors Attachée temporaire de recherche à Toulouse (Bouzon, 1992) et celui de Brigitte Guyot, alors MCF 71ème section à l’INTD (Guyot, 1992).
[19]Si l’on considère avec R.Boure que le Congrès d’Aix (1990) marque un tournant, tournant qui intéresse aussi notre argumentation, on observera une constante dans les deux périodes : les lieux des congrès « tournent » et un bon observateur pourra analyser dates et lieux dans leurs significations (Compiègne 1978 ; Bordeaux 1980 ; Grenoble 1982, Paris 1984, Rennes 1986, Strasbourg 1988, Aix 1990 ; puis Lille 1992, Toulouse 1994, Grenoble 1996, Metz 1998, Paris-Unesco 2000, Marseille 2002, Béziers 2004, Bordeaux 2006, Compiègne 2008, Dijon 2010, Rennes 2012, Toulon 2014.
[20]Je suis sur ce point d’accord avec l’analyse de R.Boure : il semble bien qu’une nouvelle période s’ouvre aussi pour la SFSIC après 1990. La décennie qui suit est notamment marquée par la pugnacité de débats sur la portée des SIC dans les politiques de recherches, leurs rapports et différentiation avec les « technologies de l’information et de la communication » -désignées parfois comme STIC-. Les enjeux sont avivés par le rapport du Conseil National d’Évaluation sur les Sciences de l’Information et de la communication publié en mars 1993.
[21]En ce sens, l’analyse des jurys de thèses en « SIC-Communication organisationnelle » -71ème section permettrait d’établir ces premiers réseaux où s’élaborent des identités de sous domaines des SIC.
[22]Historiquement la SFSIC proposait de soutenir des Groupes d’Études et de Recherches. Il en existait à la SFSIC avant Org&Co (voir SIF) – https://www.sfsic.org/index.php/la-sfsic-300064/groupe-d-etudes-et-de-recherches-sfsic-ger/2902-groupe-d-etudes-et-de-recherches-sfsic-ger
[23]La chose fut faite après le colloque de Toulouse, soutenu par le nouveau Président, Jean Mouchon, qui soutient en même temps un autre Groupe, le GRAM, d’analyse des médias. Rien d’automatique à tout cela : sous la présidence suivante, de Jean Devèze, un autre groupe « Théories et Pratiques Scientifiques » ne fut pas agréé (voir Boure, 2006).
[24]Jean Devèze, présent dans les démarrages d’Org&Co fut président de la SFSIC après Jean Mouchon. Christian Le Moënne le fut aussi (2001-2002, puis une seconde fois 2012-2014), Françoise Bernard lui succéda de 2002 à 2006 à ce poste, Gino Gramaccia de 2006 à 2008.
[25]Pour la période 1994-2016 : Christian Le Moënne puis Françoise Bernard, puis Arlette Bouzon, seule puis en duo avec Vincent Meyer, Catherine Loneux en duo avec Bertrand Parent, puis Bertrand Parent avec Sylvie Parrini Alemanno, puis cette dernière seule ; le tout selon des périodicités variables. Le site d’Org&Co permet de suivre l’actualisation de cette charge.
[26]Une fois passées les deux premières éditions, éditées aux PUR, après un moment de « panne », les publications reprirent chez L’Harmattan.
[27]Un signe de cette légitimité construite est que le travail de bilan dépassa le cadre des synthèses de coordinateurs, comme ce fut le cas avec le chapitre de Nicole D’Almeida et Yanita Andonova « La communication des organisations » dans l’ouvrage de type synthèse de Stéphane Olivesi Sciences de l’information et de la communication. Objets, savoirs, discipline publié en 2006 aux Presses Universitaires de Grenoble.
[28]Bien sûr on peut ne pas se poser de question et estimer que, dans les jeux académiques, ouvrir un espace d’un sous-champ de la communication était tout simplement « institutionnellement pertinent ».
[29]J’ai tenté de poursuivre la description de ce champ français, pour la période 2008-2018 dans la seconde édition du handbook La Communication Organisationnelle (Grosjean et Bonneville, 2019).
[30]Pour ne pas alourdir la bibliographie de ce chapitre, je n’ai pas repris ces références ici. On consultera donc les bibliographies de Delcambre 2008 ou Delcambre 2011.
[31]Dans les titres de ses interventions, on trouve en 2001 et 2009 le terme de bilan ainsi qu’en 2015. Mais il y a chez lui une préférence pour le retour critique (le titre de son intervention à Rennes devient ainsi « retour critique » dans la publication de 2010) le questionnement (« questions sur » est un type de titre fréquent -2004, 2005, et encore en 2016) et la discussion sur les « programmes » 2002, 2007, 2009.
[32]Il faut noter le rôle joué par l’équipe de Bordeaux et sa revue Communication&Organisation dans le développement des échanges internationaux à cette époque.
[33]Christian Le Moënne produit une première fois son analyse en 2009, à Rennes (publication 2010) et valorise une nouvelle fois cette analyse en la reprenant de manière très proche, simplement « scénarisée » par les questions de Sidonie Gallot (Le Moënne et Gallot, 2015), dans un texte pensé pour un public canadien.
[34]Dans l’entretien avec Sidonie Gallot Christian Le Moënne estime que l’activité scientifique liée à ce programme de champ est « foisonnante en France » et que « la grande souplesse du programme a dynamisé le groupe d’études et de recherches qui en a été le principal vecteur et porteur ».
[35]Lui-même, comme tous, doit définir sa posture et son apport. Christian nous a donné accès à un document actualisé encore en 2016, où il inscrit scrupuleusement tous ses travaux, selon les catégories classiques, et où il définit son apport. Je reprends avec son autorisation ce court texte en annexe 1.
[36]De plus, pour CLM, il y a les bibliographies de fin de texte, phénomène classique, mais s’y ajoutent aussi souvent des notes de bas de page avec des références. Enfin il y a les auteurs estimés « classiques » et pour lesquels c’est une coutume, on n’indique pas de référence précise -mais on étend jusqu’où ceux qui sont « classiques » pour soi ?
[37]Le lecteur comprendra que faire une bibliographie pour cette partie serait un exercice trop conséquent. Je l’encourage à se documenter dès lors qu’il ne connaîtrait pas tel ou tel des auteurs qui seront cités ici.
[38]Chez CLM il y a des références à la revue des Annales des Mines, Gérer et comprendre.
[39]Dans ses propos de discussion ou de cadrage épistémique, CLM citera souvent Popper, et notamment dans Le Moënne 2015 « Pour une approche « propensionniste »…, Un univers de propension – sdeux essais sur la causalité et l’évolution, de 1992 dans sa version française ; et plus tardivement Lakatos, à qui il reprend le concept d’» heuristique négative » et de « programme de faible portée » (programme de champ) pour défendre le type de relations scientifiques qu’il préfère pour Org&Co (Le Moënne, 2010, p.289-296, et Le Moënne, 2015, p.133-136).
[40]Le Moënne, 2014, cite l’ouvrage de Prigogine et Stengers (1979) La nouvelle alliance. Métamorphoses de la science, pour indiquer d’où lui vient la formule caractérisant des organisations et entreprises comme « dissipatives » (voir la note 10 de ce texte).
[41]La question de la cognition est travaillée par de nombreux courants. Ainsi dans le courant pragmatique on travaille sur la « cognition distribuée » - Conein, B. (2004). Cognition distribuée, groupe social et technologie cognitive, dans Réseaux 2004/2, n°124, 53-79-. C’est du pôle pragmatique et de l’interactionnisme symbolique de Goffman que je suis le plus proche.
[42]CLM cite régulièrement Dupuy, notamment pour introduire une réflexion sur Hayek. Varela est aussi convoqué pour l’ « enaction ». Le Moënne (2008, p.148 note 33) « Francisco Varela oppose l’enaction, co-construction et co-émergence du sens en contexte et situation aux logiques de la représentation et au dualisme ».
[43]Cet article est reproduit dans Sociologie de la traduction. Textes fondateurs. En 2006… aux Presses des Mines.
[44] Les chapitres suivants reviendront sur les échos et emprunts de CLM à Thévenot et à l’école de la régulation.
[45]CLM cite souvent Quéré ou la revue Raison Pratiques (n°1 et 4) et dans un des textes peu accessibles de notre corpus, « L’information et les processus organisationnels : une problématique constructiviste peut-elle être appliquée à une étude de cas », sa note 1 montre l’étendue de ses lectures des chercheurs liés au groupe « Langage et Travail » et des textes de Quéré (1991, 1992, 1997, 2001) parus dans la revue Réseaux.
[46]Avec la « force des liens faibles », « l’anthropologie des réseaux », « la compréhension herméneutique », « le décodage cognitiviste ».
[47]Plutôt que de répondre à cette question au lance pierre, je conseille et le n° 106-107, mars 1995 d’Actes de la recherche en sciences sociales, « Histoire sociale des sciences sociales » et l’ouvrage de Robert Boure Les sciences humaines et sociales en France, notamment son chapitre 4 « De la Libération aux années 2000 : institutionnalisation accélérée et remises en question », p.219-235.
[48]On peut lire encore avec plaisir Une société de communication ? publié en 1994 chez Montchrestien, et l’analyse que fait Erik Neveu des « travailleurs du symbolique », p.105-120.
[49]« Sphère » et « espace » sont des manières francophones et anglophones de traduire l’allemand et la « publicé-ité » d’Habermas – le fait d’être/devenir public (voir le titre de son livre de 1978 auquel il fait une postface de rajout dans le numéro 18 de Quaderni dirigée alors par Lucien Sfez, où nombre de jeunes chercheurs SHS et SIC discuteront de « l’espace public »).
[50]Pour faciliter la lecture, je mets ici les auteurs et titres d’ouvrage, leur date de publication. Je ne cherche pas à être exhaustif dans mon repérage et j’invite le lecteur à aller voir sur internet qui sont les auteurs qu’il ne situe pas ou ne connait pas.
[51]Le lecteur s’en étonnera peut-être : tout au long de cette partie, je ne traite pas directement de l’appui de CLM sur Castoriadis, qu’il cite régulièrement pour de nombreux livres. C’est tellement récurrent et important chez lui que cette référence signe une partie de nos différences. Il était donc plus sage (car je n’ai toujours pas lu Castoriadis ! – de laisser ce travail de culture politique au lecteur. Pour ma part, c’est encore Alain Supiot, spécialiste de droit du travail, dans La Gouvernance par les nombres, qui sait m’inviter à comprendre « L’institution imaginaire de la société » – on se reportera à son index pour les passages utiles-.
[52]Dans les courants de SHS plus proches de Barthes (analyse du discours et sémiologie des mass média, perspectives greimassiennes concernant le « récit ») – dans mes études « littéraires, j’ai lu « tout » Barthes-, Flahaut avait été lu pour son renouvellement de la psychologie sociale, notamment par l’analyse plus poussée des « situations de communication » qu’il faisait, orientée par une autre conception du sujet : La parole intermédiaire paru au Seuil en 1978. Les ouvrages cités par CLM sont d’une veine différente, je ne les connaissais pas.
[53]Il faudrait noter le rôle important de la lecture et de la rencontre avec Gérard Chazal, historien et philosophe des sciences alors à l’Université de Bourgogne, et pas seulement de la lecture de Simondon pour sa réflexion sur les normes. J’y reviendrai.
[54]Reprendre la liste de ses interventions et de ses textes montre souvent comment CLM se veut « programmatique », veut tracer des perspectives. Hors de notre corpus, deux exemples : «Quel bilan et quelles perspectives pour les recherches en communications organisationnelles ?», Communication introductive au colloque «Les communications organisationnelles en débats», Rennes Novembre 2001. Ou encore, « Quel programme de recherches sur les normes techniques ? », Communication invitée, CNRS Institut de la communication, Paris, Mai 2009.
[55]L’homme d’action et de pensée « réagit » et critique très vite : Le Moënne, 2010b ; CLM 2015 et CLM 2016.
[56]« Communication et induction dans les démarches de recompositions organisationnelles : d’une logique de la vérité à une logique de la convenance », dans Communication et Organisation 12 (1997) Induction et communication, publié à la suite d’un colloque sur ce même thème.
[57]Pour ma part j’ai beaucoup appris avec Yves Schwartz et l’Approche Pluridisciplinaire des Situations de Travail.
[58]La formule est de Von Glaserfeld, (1988) « Introduction à un constructivisme radical », dans Watzlawick, P. « L’invention de la Réalité », Le Seuil, 1988.
[59]Le Moigne, J-L : (1973). Les systèmes d’information dans les organisations, PUF ; (1974). La théorie du système général. Théorie de la modélisation. Puf ; (1990). La modélisation des systèmes complexes. Dunod ; (1991). « Les nouvelles sciences de l’artificiel et le renouvellement des sciences de la nature », dans Systèmes naturels, systèmes artificiels, Seyssel, Champs Vallon, 1991 ; (1996). Les épistémologie constructivistes. Puf ; (1997). Les épistémologies constructivistes : un nouveau commencement. Sciences de la société, n°41 ; (2001) Pourquoi je suis un constructiviste non repentant. Revue du Mauss, n°17.
[60]Il citera de manière élogieuse en 2006 deux ouvrages parus en 2005 : Mucchielli, A. et Noy, Cl. (2005) Etude des communications : approches constructivistes. Armand Colin. Et Mucchielli, A. (2005). Etude des communications : approche par la contextualisation. Armand Colin.
[61]Des repères historiques précis me semblent nécessaires pour ne pas tout confondre dans l’analyse de l’évolution des outils numériques et des formes communicationnelles qui y sont liées. En ce sens il s’agit bien de construire une « culture numérique » ; voir Dominique Cardon, (2019) Culture numérique, paru chez Sciences Po les Presses.
[62]Il est cité pour la formule « nouvelle économie politique de la mémoire ». En 2013 : Noyer, J-M. (2004) Pour un hyperpragmatisme, HDR Paris VII ; en 2014 : Noyer, J-M. (1993). Crise de la stratégie, émergence d’une nouvelle économie politique de l’intelligence. Sciences de la société, n°29, p.56-70. Et Noyer, J-M. (1996). Pour une nouvelle anthropologie du savoir. Revue Solaris ; en 2014 encore Carmès, M. et Noyer, J-M. (2010) Les débats du numérique. Presses des Mines ; puis Noyer, J-M. (ss date). La transformation numérique : quelques procès en cours. Narratique, Empire, Entreprise, Data Mining, Formes courtes. RFSIC n°2 en ligne ; enfin Noyer, J-M. (2012). Les espaces immersifs. Le plissement numérique du monde, anthropocène et immunopolitique. Communication Entretiens scientifiques de Toulon « Les espaces immersifs ».
[63]C’est ici encore une grande différence entre CLM et moi : j’étais très éloigné de la pensée de l’anti-Oedipe… et travaillais plus sur le « sujet », au travail et au travail de jugement (expression et mise en circulation). Dans une critique acerbe de Deleuze, Alain Supiot estime que Deleuze a renforcé les effets délétères de la cybernétique appliquée aux organisations et aux relations humaines du travail ; il propose l’idée que cette cybernétique, avant l’apparition d’internet, s’est pensée avec les réseaux et les rhizomes voir Supiot, A. (2015). La gouvernance par les nombres. Fayard, notamment p.178 et 218.
[64]Voici comment celui-ci se présente lui-même, sur le site de l’UMR LIR3S, université de Bourgogne : « Je travaille depuis de nombreuses années en philosophie des sciences et des techniques, m’intéressant plus particulièrement à la nature et à la place des machines informatiques. Je tente de développer une épistémologie de l’intelligence artificielle, de la vie artificielle, de la robotique. Il s’agit aussi de développer une anthropologie par l’artifice prenant en compte toute une histoire des automates, de Vaucanson à la robotique et à la bionique actuelle ».
[65]Ici je me fais le plaisir de faire référence au livre de Michèle Lacoste et Michèle Grosjean, 1999, Communication et intelligence collective. Le travail à l’hôpital, PUF.
[66]Tout le début de mes recherches s’est intéressé à la partie « intellectuelle » du travail de certains professionnels. « Intellectuel » est certes un vocabulaire marxiste, il me permettait aussi de réfléchir aux pratiques de jugement des gens au travail, donc à leur verbalisation – expression – et aux problèmes de prudence dans leur publicisation – circulation, communication-. Même si « cognition » faisait partie des avancées théoriques de Langage et Travail, j’étais rétif à ce terme, trop « mentaliste » pour moi. En revanche je devais à la fois penser le « sujet » et « dans la langue » (Benveniste, Bachtine) et « de l’action » (courant pragmatique), mais aussi pris dans les cadres des situations (Goffman).
[67]Le terme d’ « écologie de l’esprit » est de Bateson, celui d’ « environnement cognitif » est de Sperber. En 1992 Mark Anspach, du CREA (voir précédemment la place de Dupuy dans la culture de CLM) publie dans Horizons philosophiques « La communication entre Sperber et Bateson : de l’environnement cognitif à l’écologie de l’esprit ».
Pour citer ce chapitre :
Delcambre P., 2021, « Quelques clés pour une analyse institutionnelle et culturelle d’une production scientifique », in Delcambre, P., et Gallot, S., 2021, Communications organisationnelles : Comprendre et discuter les propositions théoriques de Christian Le Moënne, ISBN : 978-2-9575064-0-8, p. 29-66.